Le réalisateur nigérian de Avale et A Naija Christmas déballe son processus créatif.
Au mois d’avril, juste avant le début de la saison des pluies, au Nigéria, le réalisateur Kunle Afolayan s’employait à construire un univers festif à partir d’éléments créés de toutes pièces pour reconstituer un Noël très anticipé ! Le reste du monde allait découvrir son œuvre huit mois plus tard, au moment où chacun, en famille, s’apprête à savourer le cadeau de Noël du cinéaste, A Naija Christmas.
À 47 ans, Afolayan est un aristocrate du cinéma africain. Ancien banquier, il a étudié à la New York Film Academy avant d’entamer une nouvelle carrière comme homme-orchestre du cinéma : acteur, scénariste, réalisateur et producteur. Il faut absolument voir ses films - October 1, The Figurine, Phone Swap, The Tribunal, The CEO, et Mokalik – qui s’inspirent de l’histoire et de la société nigérianes.
Avec A Naija Christmas, le cinéaste primé relève son plus grand défi, puisant avec nostalgie dans ses souvenirs d’enfance des fêtes de fin d’année pour mettre en scène le tout premier film de Noël du Nigéria. A Naija Christmas est une comédie romantique qui s’attache à trois frères, dont la mère, interprétée par la grande Rachel Oniga, aujourd’hui disparue, pousse audacieusement ses fils à se trouver des femmes pour fonder leur famille. Les trois hommes doivent chercher l’amour pendant la période des fêtes – et à prendre des décisions difficiles.
Outre A Naija Christmas, Afolayan s’est associé à Netflix pour tourner trois autres films. Avale, le premier de ses trois projets, diffusé sur la plateforme en octobre, est un film qu’il voulait réaliser après s’être passionné pour le roman historique de l’écrivaine américano-nigériane Sefi Atta paru en 2008. Situé dans les années 80, Avale parle de deux femmes (Tolani et Rose) prises au piège du trafic de drogue à Lagos. Afolayan a coécrit le scénario avec Sefi Atta et a confié le rôle principal à la débutante Eniola Akinbo.
Le réalisateur évoque sa méthode de travail pour A Naija Christmas et Avale.
Joey Akan : Alors que vous étiez en plein tournage d’Avale, vous avez accepté A Naija Christmas, projet qui nécessitait que vous construisiez un univers complexe. Pourquoi ?
Kunle Afolayan : Je n’ai jamais vu de film nigérian qui soit conçu spécifiquement pour les fêtes de Noël. C’était un sacré pari de reconstituer la période de Noël en avril. Il fallait créer de toutes pièces tous ces objets et décorations si particuliers qu’on découvre à la fin de l’année. C’est un autre défi. Le fait qu’on ne dispose que de quelques mois était aussi une difficulté en soi. Je me suis dit ‘Et pourquoi pas ? On verra bien’. C’est aussi un film qui réunit de nombreux talents – beaucoup de gens avec qui j’avais envie de tourner. Ce projet était donc une opportunité de travailler avec eux.
Sur un plan personnel, avez-vous retrouvé votre amour pour Noël ?
KA : Quand j’étais petit, nous attendions tous Noël avec impatience. Mais à notre époque, les choses ont un peu changé. Je ne ressens plus de grand attachement à Noël. C’est une fête comme une autre, et sans doute un moment pour se retrouver en famille et voyager avec ses proches. Ce n’est plus le Noël que j’ai connu enfant. On ne voit plus de gens tuer un poulet en public. Et, bien entendu, les chants de Noël d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec ceux qu’on entonnait autrefois. Avec ce film, j’ai essayé de retrouver les chants de Noël de mon époque. J’ai vraiment aimé ce tournage.
C’est le film que les gens auront envie de voir à chaque Noël. C’est aussi très important pour moi : j’aimerais que mes films ne soient pas seulement faits pour que le public les voie, puis les oublie. Par exemple, à chaque fête de l’Indépendance du Nigéria, j’ai envie de revoir October 1.
Vous avez été extrêmement occupé cette année, puisque vous avez aussi tourné Avale qui se déroule dans les années 80. Comment vous y êtes-vous pris pour reconstituer cette période en 2021 ?
KA : Les costumes, les accessoires, les décors, le maquillage font partie des éléments qu’il fallait envisager dès le début. Étant donné qu’on allait tourner pas mal en décors réels, comment faire, par exemple, pour effacer toutes les voitures modernes des rues ? Comment effacer les gens habillés en tenues d’aujourd’hui ? Comment demander aux figurants qui portent un maillot de football actuel de s’en aller ? En lisant le livre, je me suis mis à acheter certains accessoires que – j’en étais certain – j’aurais du mal à me procurer, comme les téléphones filaires. Je suis un collectionneur traditionnel, si bien que j’en possède quelques-uns. Comme je fais aussi partie d’un club de collectionneurs de voitures anciennes, je les ai contactés et j’ai obtenu qu’ils me prêtent un certain nombre de véhicules. Au Nigéria – et encore plus au XXIème siècle –, on n’archive rien. On ne conserve rien. C’est une situation difficile à gérer [en matière de production], mais c’est surmontable. On tourne [des films d’époque] partout dans le monde, alors pourquoi cela devrait-il être un problème ici ?
Comment s’est passée l’écriture du scénario d’Avale avec l’écrivaine Sefi Atta ?
KA : Nous avons eu des rapports très fluides. De mon côté, j’aime tellement le livre que je voulais en conserver la plupart des dialogues. J’avais le sentiment qu’il fallait modifier la structure narrative à partir du moment où on transposait le roman pour le cinéma. Du coup, je l’ai laissée écrire une première version et ce n’est qu’à ce moment-là que je suis intervenu. Je ne voulais pas qu’on perde la nécessité pour laquelle le livre a été écrit. Il ne s’agit pas d’un pur film de divertissement – il doit aussi informer et sensibiliser le spectateur.
À ce stade de votre carrière, qu’est-ce qui est le plus important à vos yeux ?
KA : Le cinéma est comme le sang qui coule dans mes veines. Si le sang cesse de circuler, je meurs. Le cinéma n’est pas qu’un métier pour moi. Et il n’est pas qu’une forme d’expression artistique. Pour moi, c’est ce qui me fait battre le cœur. Aujourd’hui, je me remets plus en question que jamais. Si des cinéastes comme Spielberg, Scorsese et Tunde Kelani font encore des films, qui suis-je pour prétendre que j’ai atteint une certaine réussite ? Je n’en suis qu’au début.