Dali Benssalah joue dans le long métrage visuellement époustouflant du réalisateur Romain Gavras, Athena.
Le plus frappant chez le tout juste trentenaire passé par la boxe thaïe avant de devenir acteur, c’est sa surprenante maturité. Lorsqu’il intègre le célèbre cours Florent, il ne se rêve pas en haut de l’affiche, mais il est animé par l’envie de pratiquer le métier d’acteur. « La belle surprise, c’est que j’ai rencontré une passion », confie-t-il. « Mais je n’ai pas de plan de carrière. Peu importe que j’aie un premier ou un septième rôle, si le projet a du sens ».
Il a été repéré en 2017 grâce au clip Territory du groupe The Blaze qui a remporté le Film Craft Grand prix au Cannes Lions cette année-là. C’est ainsi qu’il décroche ensuite le rôle de l’ennemi de Daniel Craig dans Mourir peut attendre (2021), mettant à profit son expérience de la boxe dans une prestation hors du commun.
Avec Athena, troisième long métrage de Romain Gavras, l’acteur impose sa gravité et sa maîtrise de soi dans un récit au cordeau qui a l’ampleur romanesque de la tragédie classique et la force d’une œuvre engagée, résolument moderne. L’acteur incarne Abdel, officier français qui vient de rentrer au pays – à Athena, cité à l’allure de forteresse où il a grandi – pour l’enterrement de son petit frère qui aurait été abattu par la police. Mais Abdel découvre que la colère suscitée par la mort de son frère met le quartier à feu et à sang. Tandis que les jeunes de la cité se révoltent, Abdel doit choisir entre le respect de la loi et sa loyauté envers sa famille.
Franck Garbarz : Comment avez-vous abordé le personnage d’Abdel, garçon intègre et hostile à la violence ?
Dali Benssalah : Pour incarner le personnage, je me suis mis en tête qu’il fallait passer par quelque chose de physique. Avec Romain, on a beaucoup parlé de son parcours. On s’est dit que, par rapport à son âge, il avait un grade de lieutenant et qu’il était entré dans l’armée pour des raisons particulières : c’est un engagement qui amène une solde, et c’est un garçon qui a besoin de nourrir sa famille et, dans le même temps, qui est toujours dans l’action. De mon côté, je me suis conditionné en militaire déterminé – en bon lieutenant qui montre l’exemple. Tous les jours, au réveil, je m’astreignais, sans matériel, à une séance de sport quotidienne, ce qui me ramenait à la rigueur de la caserne. Cet entraînement m’a permis de me « décharger » physiquement. Ensuite, j’ai dû apprendre à respirer d’une manière spécifique car Abdel traverse des situations de stress intense : au départ, c’est une sorte de montagne qui en impose, puis qui s’effrite peu à peu. Il fallait donc aussi un bon entraînement cardio.
Dans le film, les déplacements des acteurs semblent très chorégraphiés .
DB : L’avantage avec ce projet, c’est qu’on a eu beaucoup de temps de répétitions sur le lieu de tournage. C’était un grand luxe de disposer du décor naturel de cette citée inhabitée qui devait être détruite, et on a pu y accéder rapidement en équipe réduite. Cette approche des répétitions m’a ramené au théâtre : il fallait mentaliser les scènes sans trop les anticiper pour autant. On a aussi pu prévoir les passages de caméra, si bien qu’on se délestait d’un poids au moment du tournage où on pouvait se concentrer uniquement sur le jeu.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans le projet du réalisateur Romain Gavras ?
DB : Avant tout, l’écriture. C’est une véritable tragédie, avec une dimension shakespearienne, où l’on croise des hommes qui affrontent des enjeux toujours plus forts qu’eux et qui doivent agir très vite sans avoir le temps de se poser et de réfléchir. Le scénario m’a rappelé mes cours de théâtre où le comédien est le réceptacle du texte et où les rôles sont plus forts que nous. Il y avait de cela dans le film de Romain et c’était épatant de se laisser surprendre par un texte contemporain aussi audacieux qui assume le tragique et qui n’a jamais peur d’aller trop loin. Comme dans les grandes tragédies d’Euripide, c’est extrême mais c’est humain.
Comment trouver la justesse de jeu dans un rôle comme celui d’Abdel ?
DB : Ce que je trouve jubilatoire, c’est qu’il faut chercher, encore et encore, car la justesse ne se trouve pas instantanément. Mais mon travail, c’est justement de mener cette recherche, comme dans un laboratoire, où on est dans une bulle et où on se demande jusqu’où on peut aller. C’est ce qui me passionne dans ce métier. Par ailleurs, ce film était tellement technique et les mouvements d’appareil si complexes qu’il fallait souvent faire et refaire les prises pour être sûr d’être au bon endroit pour la caméra. Lorsque les scènes demandent autant d’énergie, il faut tenter des choses radicalement différentes et ne pas s’épuiser dès la première prise, ce qui exigeait une vraie vigilance.
Quel genre de directeur d’acteur Romain Gavras est-il ?
DB : Il tient au texte, mais avant tout au sens. Il n’est donc pas au mot près et il vous permet toujours d’ajuster certains dialogues. Sur le plateau, il n’est pas figé et, dans sa direction, il a de l’appétit et de la curiosité.
Il a quelque chose de très enfantin, dans le bon sens du terme, car il aime qu’on le surprenne, même si, bien entendu, il connait l’histoire par cœur. Il laisse beaucoup de place à ses acteurs, comme s’il se réévaluait avec nous à chaque prise : il était, lui aussi, en recherche et en questionnement et donc, naturellement, très ouvert aux suggestions.
Le film a évidemment une forte résonance politique. Est-ce important pour vous de participer à ce genre de projet ?
DB : La dimension politique est importante et omniprésente, quel que soit le projet, à partir du moment où il est porté par une véritable ambition artistique. Je n’avais pas spécialement envie de parler de la banlieue, mais d’injustice, de vengeance, d’impuissance. Dès l’instant où on traite de rapports humains, il y a quelque chose de politique. Le film rejoint aussi la diversité à l’écran : il se trouve qu’il décrit une situation qui se déroule à cet endroit précis, et c’est une réalité qui peut être politique. Je ne me fais pas porte-étendard de quoi que ce soit, mais les sujets comme l’injustice et la fratrie me touchent tellement que je me donne à fond.