La réalisatrice évoque le travail des collaborateurs qui l'ont aidée à porter à l'écran sa vision du roman Le Pouvoir du chien.
Si The Power of the Dog a une telle portée, c’est en grande partie grâce à l'esprit visionnaire de son illustre réalisatrice, Jane Campion. Pour la cinéaste oscarisée, la lecture du roman de Thomas Savage paru en 1967 a été un véritable déclic : elle a tout de suite su qu'elle allait porter à l'écran cette histoire d'obsession, d'amour et de vengeance centrée sur un charismatique éleveur de bétail installé dans le Montana des années 20. Jane Campion a rassemblé un quatuor d'acteurs virtuoses pour son projet : Benedict Cumberbatch pour interpréter Phil Burbank, l'éleveur torturé, Jesse Plemons dans le rôle de George, son frère effacé, Kirsten Dunst pour donner vie à la mère veuve et Kodi Smit-McPhee dans le rôle de son fils Peter, un adolescent fragile et réservé. Cette histoire a profondément touché la réalisatrice, qui a immédiatement perçu son extraordinaire potentiel cinématographique. « Réaliser un film est à la fois difficile et enivrant, car il s'agit de s'ouvrir à ce qui permet d'investir toute son intelligence, toute son âme et tous ses rêves », déclare Jane Campion.
Le film a nécessité une équipe technique tout aussi dévouée et talentueuse pour traduire à l'écran les ambitions et les exigences artistiques de la réalisatrice néozélandaise. « Le travail de réalisation repose entièrement sur la confiance que vous placez dans les liens que vous tissez », affirme Jane Campion. « C'est un pari sur la victoire de la confiance sur le doute, de l'inspiration sur la peur. » Dans cet esprit, la lauréate du Lion d'argent s'est entourée d'une solide équipe de techniciens et d'artistes. Elle décrit ci-après leurs contributions au film The Power of the Dog.
Jane Campion sur la photographie
Ari Wegner (directrice de la photographie)
Jane Campion : Ari Wegner est une virtuose. Elle est authentique, constante, intelligente, poétique et c'est une travailleuse acharnée. Tous les matins avant la journée de tournage, elle court pendant une heure. Elle est aimable et toujours prête à rire malgré le sérieux de son travail. Plus important encore, elle est capable de vibrer à la même fréquence que les acteurs et les accompagne comme un véritable ange gardien. Nous avons la même approche : une longue préparation avant un projet. Nous savons toutes les deux que nous avons beaucoup plus à donner si nous avons le temps de creuser et de trouver le langage photographique adapté à l'histoire. Un langage simple, élégant, intime et direct. Nous puisons notre inspiration et notre force dans l'histoire. Il n'y a pas de place pour les artifices visuels. Pour le développement de l'histoire et des personnages, Ari a un instinct de romancière. Elle cherche sans arrêt le meilleur moyen de dévoiler l'histoire et les personnages. Nous avons passé tellement de temps ensemble à tout préparer et à tout planifier que c'était comme si nos esprits avaient fusionné. Nous avons pesté contre tout ce qui échappait à notre contrôle : les conditions météorologiques extrêmes avec des vents si forts qu'on devait se réfugier à l'intérieur, la rivière qui s'assèche, la rivière qui déborde, l'herbe jamais assez blonde, l'absence de protection contre la pluie et enfin la seule chose que personne ne pouvait prévoir : le COVID.
Nous ne voulions pas faire du beau pour du beau, l'idée était de se mettre au service de la narration. Nous voulions vraiment prendre notre temps au moment de filmer. Lorsqu'une image est fixe, vous pouvez l'examiner et elle vous livre tous ses secrets. Et quand la caméra a tendance à rester statique, le moindre mouvement revêt alors une importance cruciale.
—Ari Wegner
Campion sur les décors
Grant Major (chef décorateur), Amber Richards (décoratrice plateau)
JC: Grant est capable de gérer de gros chantiers, comme la conception d'un ranch majestueux de 16 pièces sur trois étages construit au XIXe siècle par un couple d'éleveurs fraîchement débarqués dans l'Ouest américain. La construction d'une maison comme celle-ci prend normalement au moins deux ans, mais Grant et ses collaborateurs ont réussi à le faire en quelques mois, dans un coin perdu de la Nouvelle-Zélande et dans des conditions météorologiques souvent dantesques. Sincèrement, je n'y croyais pas, mais ils l'ont fait. Et lorsque j'ai eu des doutes sur leur capacité à faire vieillir la bâtisse dans les temps, ils m'ont à nouveau bluffée. Grant est aussi bon créateur que chef d'équipe, et il prêche toujours par l'exemple. Il arrive tous les jours au travail à 7 heures du matin et n'en part jamais avant 19 heures.
Grant peut aussi mettre son esprit créatif au service de tâches moins imposantes, mais tout aussi délicates. Le personnage de Peter tenait un journal, une sorte de livre de souhaits décrivant comment ils allaient sortir de l'ennui de leur petite ville. Les gens avaient tendance à se dérober devant le projet, car personne ne savait comment s'y prendre pour créer un journal qui ferait l'unanimité. Grant a fini par s'en occuper, et sa part de féminité et son souci du détail ont fait le reste : les photos, les morceaux de dentelle et les autres accessoires ajoutés au journal étaient si bien trouvés, si décoratifs, que le résultat a été parfait, au-delà de toute espérance.
Grant a vraiment cette capacité à seconder les réalisateurs. Par exemple, Rose devait initialement dessiner un cœur sur une vitre. Après un changement de mise en scène, Rose se retrouvait assise, et ne pouvait donc plus atteindre la fenêtre. J'ai dû en faire part à Grant, car peu de temps après, il est venu me voir avec un plateau élégamment dressé pour le thé, avec un sucrier. Il a alors versé le sucre sur le plateau en bois et y a dessiné un cœur ! C'est à Grant que nous devons cette scène.
Grant et moi avons démarré en même temps dans le métier. Un ange à ma table était son premier film en tant que décorateur et mon deuxième en tant que réalisatrice. Quand on voit les trésors d'inspiration et d'imagination qu'il a déployés avec Peter Jackson sur Le Seigneur des anneaux, on peut affirmer qu'il est l'un des grands créateurs d'univers de sa génération. C'est un véritable virtuose, aussi à l'aise sur les grosses productions que sur les œuvres plus intimistes.
La tonalité des intérieurs a demandé le plus grand soin et la plus grande attention. Les pièces lourdement charpentées sont dépourvues de tout mobilier, de toute chaleur et de tout amour, laissant la place à un vide physique et émotionnel dont on perçoit l'écho, mais elles conservent une sorte de solennité subvertie, qui n'est pas sans évoquer le parallèle entre l'immense fortune de la famille et la volonté de Phil de s'en échapper.
—Grant Major
Campion sur les costumes
Kirsty Cameron (créatrice des costumes)
JC : Kirsty appréhende son travail à la manière d'une artiste. Elle commence par s'imprégner des thèmes de l'histoire et par creuser les facettes et les motivations cachées des personnages, car tout ce qu'ils vont porter doit remplir un double objectif : servir l'intrigue et servir le personnage. Elle ne veut en aucun cas qu'on devine la main de la costumière dans le film. Elle souhaite au contraire que les choix vestimentaires complexes des personnages participent à leur mystère, nourrissant ainsi l'histoire et notre plaisir de spectateur.
Grâce à deux formidables chercheurs, nous avons recueilli énormément de représentations visuelles des cowboys des années 20. Nous avons récupéré d'extraordinaires photos en noir et blanc de cowboys portant des chemises rayées que Kirsty et moi avons adorées. Nous avons également beaucoup aimé les jambières en peau de mouton qui se portaient à l'époque et qui donnaient aux hommes un air de satyre : mi-humain, mi-animal. Dans le roman, Phil Burbank raille la mode des cowboys de cinéma que ses employés s'efforcent d'imiter en y consacrant tout leur argent. Kirsty devait donc trouver pour Phil un look en phase avec son statut de mâle dominant tout en respectant les goûts vestimentaires originaux qui lui donnent aussi un côté enfantin.
Kirsty a monté un atelier de première classe composé des meilleurs professionnels de Nouvelle-Zélande et a mené toutes sortes d'expériences pour teindre, salir et patiner, travailler le cuir et bien sûr confectionner les vêtements. Les murs de l'atelier de dessin de Kirsty étaient couverts de croquis qu'elle modifiait au gré de ses fréquentes inspirations. Je me suis souvent retrouvée avec elle en fin de journée. On se posait mille questions sur les tenues des différents personnages, mais aussi sur la palette de couleurs, car au final c'est ce travail qui allait déterminer la quasi-totalité de la tonalité chromatique du film.
Kirsty Griffin
J'aspire à créer des costumes qui s'inscrivent dans un tout. [Des costumes] qui correspondent parfaitement aux personnages, qui n'attirent pas le regard, mais qui contribuent à donner une certaine profondeur à l'histoire en renforçant le sous-texte ; [des costumes] qui étayent la dimension émotionnelle des personnages et du film ; des costumes que les acteurs peuvent s'approprier et auxquels ils peuvent donner corps.
—Kirsty Cameron
Campion sur le son
Robert Mackenzie (superviseur montage son, mixeur repiquage), Tara Webb (mixeuse repiquage, monteuse effets sonores), Richard Flynn (mixeur de son de production)
JC: Robert Mackenzie a supervisé le montage et le mixage du son sur The Power of The Dog. Rob a un passé de musicien et un grand talent pour inventer de nouvelles manières de souligner des éléments discrets du récit par le travail du son. Sur le plateau, nous avons eu la chance de pouvoir compter sur Richard Flynn et son équipe pour capturer chaque réplique de dialogue, veillant en permanence à ce que tout soit utilisable, ce qui était crucial, car le son provenait souvent de différentes prises.
Nous savions dès le départ que les atmosphères allaient être très importantes pour l'histoire, mais aussi que la musique de Jonny [Greenwood] allait être un facteur déterminant. Nous devions donc ménager de l'espace pour qu'il puisse s'exprimer pleinement. L'équipe nous a donné un guide détaillé de chaque son approximatif présent dans le film, musique incluse, mais le dialogue devait être nettoyé et les effets sonores recréés. De nouvelles idées ont également été ajoutées, comme le son particulier des bottes et des éperons de Phil, qui permet à Rose et Peter d'identifier sa présence et de créer cette fameuse tension. Avec Rob, nous nous sommes dit qu'en nous concentrant sur ce qui était vraiment important, nous pouvions aider les spectateurs à vivre le film plus intensément et à créer le suspense.
Avec autant d'éléments sonores fouillés et dynamiques, le risque était de se perdre un peu en se laissant aller à la surenchère. Mais en suivant le guide pas à pas, nous avons pu nous remettre sur la bonne voie et n'inclure que les vraies bonnes idées. Rob a une excellente oreille et une grande intelligence. Son équipe crée des paysages sonores expérimentaux qui fonctionnent et peuvent être adaptés aux besoins de l'histoire, jusqu'à la toute dernière écoute.
Leah Katz a sauvegardé la totalité du dialogue et microdécoupé tous les éléments de reprise de voix en reprenant parfois seulement quelques syllabes isolées. Dave Whitehead, qui a également travaillé sur Dune, était responsable de l'équipe des effets sonores et nous a rejoints pour le mixage. C'est un véritable génie : il a suggéré et créé des effets, subtils ou puissants, afin de mettre en valeur certains moments du film. Le mixage est un moment stressant pour tout réalisateur, car vous avez l'impression que vous risquez de noyer votre film et de diluer son propos, alors même que vous essayez de l'améliorer. Ça n'a jamais été le cas [avec mon équipe], et j'ai le sentiment que Rob a travaillé en étroite collaboration avec Graeme Stewart, l'ingénieur du son de Jonny Greenwood, pour intégrer en douceur les compositions dans la texture de notre univers et assimiler la musique au cœur même de l'histoire.
Le défi pour l'équipe du son était de ne pas s'en remettre aux techniques habituelles, mais plutôt d'explorer de nouvelles manières de créer un climat de tension et de tenir les spectateurs en haleine. L'idée était de mettre en avant le contraste entre les sons d'intime proximité et les vastes étendues du paysage du Montana. Nous sommes tous immensément fiers du résultat.
—Robert Mackenzie
Campion sur le montage
Peter Sciberras (monteur)
JC : En tant que réalisatrice, j'aime être présente pendant le travail de montage, et c'est quelque chose que Pete apprécie aussi. Ensemble, nous avons partagé et disséqué chaque séquence du film, pour savoir comment elle fonctionnait et comment la sublimer. Je sais donc exactement pourquoi Peter est si bon : il est à la fois intuitif et analytique, il trouve des solutions à tous les problèmes et il est toujours de votre côté. Il sait comment et quand me faire passer à autre chose pendant le montage d'une scène, avec son classique « on va la garder comme ça pour l'instant ». Il focalise d'abord son attention et son intelligence sur la structure globale du film. Et lorsque les fondations sont posées, il procède aux derniers ajustements.
Chaque film a son histoire et des problématiques qui lui sont propres. La première a été le montage, qui a été dense, et trop long d'une heure et quinze minutes. Pour nous, la meilleure version du film devait faire environ deux heures, ce qui sous-entendait de couper un certain nombre de scènes de personnages secondaires et d'en raccourcir d'autres afin d'assurer une bonne fluidité narrative. Mais le plus difficile a été de gérer les quinze premières minutes, qui doivent lancer le film. Nous avons essayé tellement de versions différentes, mais c'est Pete qui a trouvé la formule en montant la séquence du bétail sur laquelle s'ouvre le film. Une immense patience, une intelligence, une quête d'efficacité absolue et une détermination sans faille : voilà toutes les qualités de Pete. Il connaît toutes les astuces du montage du son, des microcoupures aux différents outils de correction numérique. Mais sa plus grande force est sans conteste sa gentillesse et son sens de l'humour à toute épreuve. J'étais toujours heureuse de savoir que j'allais rire en entrant dans la salle de montage.
Nous avions l'intention de raconter une histoire poignante et surprenante. C'est le terrain de jeu idéal pour créer des rythmes originaux et ménager des virages inattendus. Les spectateurs ont tout loisir de spéculer sur la suite des événements tant les non-dits des personnages sont nombreux. Il était crucial que le montage donne aux spectateurs le temps nécessaire pour réfléchir aux différents scénarios possibles.
—Peter Sciberras
Campion sur la musique
Jonny Greenwood (compositeur)
Jonny Greenwood, notre compositeur, est un génie. C'est aussi simple que ça. Avoir un compositeur qui pense aux personnages, qui pense à l'histoire, qui la voit et l'entend comme moi, c'est tout simplement extraordinaire. Et le résultat est éloquent. Quand on écoute le film mixé, la musique est non seulement épique, mais aussi parfaitement intégrée. Même moi, elle me transporte et me surprend. Lorsque je l'ai réécoutée pour la première fois après le mixage, je lui ai trouvé une énergie spéciale.
J'ai travaillé avec de nombreux compositeurs différents et je n'en pense que du bien, mais [Jonny] s'affranchit vraiment du canon de la musique classique et réutilise ses instruments de manière vraiment unique. C'est assez perturbant, car on ne sait pas comment réagir. C'est une expérience nouvelle. En toute franchise, lorsque j'entends de la musique classique dans une bande-son, je fais généralement un peu la grimace, car je me dis que je vais avoir droit aux clichés habituels : les cordes pour faire monter les larmes et toutes ces techniques éprouvées. Et comme je déteste être manipulée, ça ne fonctionne pas sur moi.
J'ai eu la chance de composer et d'enregistrer cette bande-son : Jane a fait preuve d'une grande ouverture d'esprit et d'une confiance aveugle, car je n'ai pas vraiment pu lui présenter mon travail. Les enregistrements finaux ont souvent été les premiers !
—Jonny Greenwood