La star du dernier film de Paolo Sorrentino, La Main de Dieu, a trouvé le rôle de ses rêves.
Filippo Scotti ne voulait pas aller se coucher. À l’époque, il avait onze ans et il était déjà tard ce soir-là, à Naples. Il avait le choix entre aller au lit ou regarder Fenêtre sur cour avec son père. Même s’il se disait que le film risquait d’être ennuyeux, il a choisi Hitchcock. Ce soir-là, Filippo Scotti est tombé amoureux du cinéma, et une carrière d’acteur est née.
Fabietto Schisa ne voulait pas aller à Roccaraso. Ses parents partaient pour leur maison de vacances dans ce village du centre de l’Italie, mais le Napoli du légendaire Diego Maradona jouait contre Empoli. Fabietto Schisa avait des billets pour la saison et il comptait bien rester à Naples. C’est ainsi que commence la tragédie que connaîtra cet adolescent napolitain, si justement interprété par Filippo Scotti dans le film initiatique La Main de Dieu, de Paolo Sorrentino. Au cours de sa jeunesse, Fabietto Schisa grandit dans l’adversité, remarque les moindres détails et se découvre, lui aussi, un amour pour le cinéma.
Filippo Scotti a d’abord grandi à Dongo, dans le nord de l’Italie, avant que ses parents ne déménagent à Naples alors qu’il avait six ans. Il a commencé par le théâtre, avant de s’intéresser au cinéma. Il se rappelle ses premières expériences d’acteur. « Il y avait un petit théâtre dans le centre historique de Naples ; ma mère m’a proposé d’essayer et j’ai dit Pourquoi pas ? Je peux le faire. C’était le début, et c’était juste pour m’amuser. C’était cool parce qu’en fait, ça ressemblait déjà à la réalité de ce métier. Par là je veux dire qu’il faut beaucoup bosser, se concentrer sur chaque projet, chaque personnage, mais si vous n’aimez pas faire ça, ça ne sert à rien. »
Il a dix ans lorsqu’il incarne son premier rôle au théâtre, celui d’un jeune prince. Et c’est un an plus tard, après avoir vu Fenêtre sur cour, qu’il envisage une carrière d’acteur professionnel. « J’ai été marqué par la beauté de ce film, par la mise en scène et les acteurs. À partir de ce moment-là, j’ai commencé à découvrir Hitchcock, Stanley Kubrick et d’autres réalisateurs qui m’ont ouvert de nouveaux horizons. Je me suis dit OK, peut-être que je peux faire ça dans la vie. » En se plongeant davantage dans le septième art, il découvre et admire les carrières de Willem Dafoe, Paul Dano et Mathieu Amalric. Il continue à monter sur les planches durant son adolescence et obtient son premier rôle professionnel au théâtre en 2016.
Trois ans et trois courts-métrages plus tard, Filippo Scotti est choisi pour jouer dans la troisième série italienne produite par Netflix, Luna Nera, un drame sur les sorcières au XVIIe siècle. Faire partie d’une production de cette ampleur fut un vrai bond en avant dans sa carrière, et il en a profité au maximum. « Voir la production, les caméras, tous ces gens qui travaillaient, c’était fou. Tellement de personnes pour une scène de trente secondes ! C’était positif pour mon jeu d’acteur, car je passais beaucoup du temps sur le plateau, ce qui était une première pour moi. J’avais besoin de me préparer physiquement pour ces longues périodes de tournage. Je me disais OK, il faut que j’aille me coucher tôt, que je mange plus équilibré. » Cette volonté de s’améliorer a préparé Scotti, alors encore adolescent, au rôle qui allait se révéler être celui de sa vie.
Paolo Sorrentino est adulé non seulement par le monde du cinéma italien, mais aussi aux quatre coins du globe. Ce scénariste et réalisateur napolitain a déjà livré des histoires inoubliables et des images époustouflantes avec des films comme Il Divo, Youth ou encore La grande bellezza, pour lequel il a reçu un Oscar. En réalisant La Main de Dieu, il s’est replongé au cœur de ses racines napolitaines et de sa propre adolescence. Pour donner vie à l’histoire de Fabietto Schisa et transmettre toutes les émotions du film, il était indispensable de trouver l’acteur adéquat. Filippo Scotti était prêt.
« Pour le premier casting, j’ai reçu un mail de mon agent avec deux scènes du film. Le nom du réalisateur n’était pas précisé et j’ai trouvé ça bizarre. » Même sans savoir qui était derrière ce projet, Filipo Scotti se sentait déjà stressé. C’est lorsqu’il a été rappelé pour une deuxième audition qu’il a appris le nom du réalisateur. « Je devais rencontrer Paolo Sorrentino et je n’ai pas pu fermer l’œil de la nuit. C’était la première fois de ma vie que je me sentais ainsi. »
Après plusieurs auditions, Filippo Scotti reçut un appel de Paolo Sorrentino lui annonçant qu’il avait le rôle. Il s’est immédiatement plongé dans le scénario. Il a annulé les vacances que ses parents avaient organisées et il est resté à Naples « pour passer le mois d’août dans cette ville chaotique ». Il a passé le mois à lire le scénario, non pour le mémoriser, mais pour le comprendre, s’en imprégner. « Je voulais me plonger dans le texte, sans me préoccuper d’apprendre mes répliques », explique Filippo Scotti. Paolo Sorrentino était là pour le guider, lui conseiller des morceaux (Talking Heads, The Cure ; « J’ai passé l’été dans les années 1980 », raconte Filippo Scotti en riant) et des films (Les Sentiers de la perdition ; « Je me souviens que Paolo Sorrentino m’a dit d’observer attentivement la démarche de Jude Law ! ») afin de donner vie au personnage de Fabietto Schisa. Mais durant cette phase de préparation, Filippo Scotti s’est surtout concentré sur la tragédie qui s’abat sur Fabietto au milieu du film, et sur sa charge émotionnelle. « Je n’ai pas vécu cette expérience, cette tragédie, mais cette histoire m’a tellement ému que je me la suis appropriée. Nous avons tous vécu des moments où nous nous sommes sentis mal, mais il faut parvenir à les accepter. »
« Quand tu lis un bon scénario, tu pleures, tu ris rien qu’en le lisant, et puis tu ressens quelque chose dans la poitrine. C’est comme quand tu aimes quelqu’un. Il y a un ouragan en toi. »
Filippo Scotti
Une fois sur le tournage à Naples, Filippo Scotti a su mettre à profit le temps qu’il avait consacré à analyser et comprendre le texte pour livrer une performance très intense, aidé par le réalisateur. « La manière dont Paolo Sorrentino te parle, à la fois très directement et très doucement, c’est sa manière à lui de dire Ne t’inquiète pas, je suis avec toi. Tu pourras te tromper, moi aussi. Il faut juste qu’on travaille ensemble et qu’on se comprenne. » Comme la grande famille italienne des Schisa dépeinte dans le film, les acteurs et l’équipe ont tissé des liens très forts. À l’inverse des rencontres familiales des Schisa, Filippo Scotti décrit le tournage comme très organisé, car tous étaient « vraiment à l’écoute les uns des autres ».
Malgré la confiance du réalisateur et la camaraderie qui régnait sur le plateau, il y eut des moments difficiles. Pour Filippo Scotti, l’une des scènes les plus compliquées a été lorsque Fabietto perd sa virginité avec une femme plus âgée, la baronne (Betti Pedrazzi). « Quand j’ai lu cette scène pour la première fois, j’étais tellement content. J’attendais justement quelque chose comme ça, et c’était un tel honneur de travailler avec Betti. Mais c’était difficile, un peu gênant même. Nous étions dans une petite pièce, tous masqués à cause du Covid, les uns sur les autres : l’équipe, le micro, la caméra… Il faisait chaud. C’était un peu étrange. Mais, avec le recul, après l’avoir regardée, j’aime cette scène. Je suis satisfait. »
Dans la vie, le personnage de Fabietto passe de la position d’observateur à celle d’acteur. « Il apprend qu’il ne faut pas lâcher, même lorsque la vie n’est pas belle, pas belle du tout. Il n’apprend pas à être un homme puisqu’il l’était déjà, mais à être courageux. » La révélation émotionnelle de Filippo Scotti se produit lors du tournage de la scène entre Fabietto et son mentor, le réalisateur Antonio Capuano.
« Il était 5h du matin. Nous étions prêts à tourner, tout était prêt, et Paolo nous a appelés. Il nous a dit Je veux voir votre vérité. J’ai écrit la mienne, d’accord, mais maintenant je m’en fous de ma vérité. Je veux voir la vôtre ». Je n’ai pas vécu de tragédie comme celle de Fabietto, mais ce film m’a beaucoup aidé », raconte Filippo Scotti, aujourd’hui âgé de 21 ans. « C’était un peu comme une thérapie. J’ai appris que le passé reste le passé et qu’il faut parfois apprendre à passer à autre chose. »
Pour Filippo Scotti, à l’avenir, il n’est pas question d’occulter le rôle de Fabietto dans La Main de Dieu, mais de s’en souvenir. « Dans mes rêves, le rôle que j’attends est le même que celui-ci ; quand tu lis un bon scénario, tu pleures, tu ris rien qu’en le lisant, et puis tu ressens quelque chose dans la poitrine. C’est comme quand tu aimes quelqu’un. Il y a un ouragan en toi. Je crois que mon rêve est de jouer un autre rôle comme celui-ci. »
Vittorio Zunino Celotto